Les « communs », quel joli mot ! On en parle à toutes les sauces, et depuis bien longtemps. Le terme a été popularisé par Elinor Ostrom, première femme à recevoir le prix Nobel d’économie en 2009. En s’opposant au dogme de la privatisation à tous crins ou de la seule régulation gouvernementale, elle s’est penchée sur la manière dont les communautés gèrent les ressources communes telles que les forêts, l’eau, les pâturages… Et si l’on renversait la notion, en parlant des « communs négatifs » ? Que faire de ce dont on ne sait que faire ? Et si l’on s’intéressait aux « possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme », selon les mots de l’anthropologue Anna Tsing ?
Les communs négatifs relégués dans l’invisible
« Plus les sociétés capitalistes se développent, plus elles perdent leur capacité à recycler ce qu’elles produisent en excès, reléguant ainsi le négatif au domaine de l’invisible – l’air, l’océan, le sous-sol, les territoires économiquement inférieurs », résume dans Le Monde le chercheur et militant japonais Sabu Kohso. Dans un pays marqué par la catastrophe nucléaire de Fukushima, le déchet ultime est bien sûr le déchet radioactif, quasi éternel. Enfin disons qu’il est radioactif pendant minimum… 100 000 ans.
Le chercheur Alexandre Monnin s’est concentré sur ces ruines qui persistent à travers le temps, ce qu’il appelle les « déchets de l’anthropocène ». Soit les énergies fossiles, l’agriculture industrielle motorisée, les sols pollués, les centrales nucléaires… mais aussi, écrit-il dans une revue, « les mesures néolibérales, doctrines économiques ou managériales hors-sol », ou les smartphones par exemple. En somme, certains héritages culturels. Plutôt logique. Quand vous achetez un téléphone aujourd’hui, vous achetez le travail des enfants au Congo pour extraire les minéraux nécessaires à sa fabrication.
Les pays riches doivent prendre leurs responsabilités
« À ce prix-là et sur ce marché-là, ce sont des quasi-nécessités, à tout le moins, des éléments « constitutifs » de ces dispositifs et non des conséquences malheureuses qu’il s’agirait de déplorer après coup », rappelle-t-il. Pas question pour autant de fantasmer un retour à une Nature virginale – « les limites planétaires ne sont pas des portes de saloons que l’on franchit en tous sens ». Pas question non plus de continuer en faisant l’autruche à détruire le monde. Alors que faire ?
Le mot « commun » a le grand mérite de souligner qu’il s’agit bien de problèmes qui concerne tout le monde, que l’on doit gérer ensemble. Qu’il ne s’agit pas de déléguer ces tâches. Sans occulter les responsables du désastre, les pays riches. Alexandre Monnin enjoint donc au Nord, dans une tribune, de « prendre en charge les communs négatifs», de « travailler à les démanteler proprement, avec soin».
Il s’agit tout simplement d’un « premier exercice concret et constructif de réparation » et d’une « manière d’assumer une responsabilité historique ».