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Entretien

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François Lasserre, entomologiste, nous donne une vision incroyable des insectes

« Les mouches à merde n’ont pas de syndicat pour les défendre »

François Lasserre. crédit : Bruno Levy

Paru le 29 mai 2023, modifié le 6 juillet 2023

Ecrit par Elsa de Mon Quotidien Autrement

Pourquoi les papillons papillonnent ? Est-ce que les bourdons s’amusent ? On connaît bien peu de choses sur les insectes. Ils constituent pourtant les quatre cinquièmes de toutes les espèces animales. Pour en savoir plus, on a téléphoné à François Lasserre, entomologiste et vice-président de l’Opie, l’office pour les insectes et leur environnement. Qui nous a parlé, plus largement, de notre rapport au vivant.

Pourquoi certains insectes volent-ils de manière erratique, ou en zigzag ?

Si on vous regarde de très haut et qu’on vous rend petite comme un insecte, vous faites pareil, vous vous déplacez aussi en zigzag. Plein d’insectes volent droit, parfaitement droit. Des milliers d’espèces. Vous pensez au papillon ? Une hypothèse, c’est qu’ils papillonnent et cela leur permet d’échapper aux prédateurs, certains oiseaux par exemple, car ils sont très facilement repérables avec leurs grandes ailes. Mais quand ils sont dans une situation de migration, ils volent droit. Vous pensez peut-être aussi à la petite mouche domestique, qui tourne au plafond ?

Pourquoi la petite mouche tourne-t-elle ?

 

Elle fait des angles droits : elle se sert d’un repère, d’un truc accroché au plafond et elle fait sa petite danse de séduction en carré ou en rectangle. C’est très particulier à cette petite mouche domestique, ça me fascinait quand j’étais petit. Les mâles font les beaux – ce sont eux qui font une parade nuptiale – et les femelles viennent choisir.

 

Quels sens utilisent les insectes pour voler ?

Surtout la vue. Ceux qui volent bien comme les libellules ont des yeux énormes, les bourdons ont des milliers d’yeux… Ceux qui migrent, comme les papillons, les libellules, les mouches… utilisent aussi le champ magnétique terrestre. Ils ont d’autres sens très précis : les moustiques nous trouvent la nuit grâce au CO2 et à la chaleur qu’on émet  ; et puis quand on se déplace, le courant d’air déplace des masses d’air qu’ils ressentent. Les insectes sont enfermés dans leur squelette, mais ont une gamme de soies (les poils) incroyablement sensibles. Un moustique sent la différence de température en s’approchant d’un mur, et va donc l’éviter par exemple.

Les insectes ont bien plus de cinq sens… comme nous d’ailleurs ! Ceux qui vivent la nuit ont des capacités sensorielles extrêmement puissantes qu’on a du mal à se représenter.

Opération destruction de nids de frelons. Crédit : Ajuntament Barcelona
Opération destruction de nids de frelons. Crédit : Ajuntament Barcelona

C’est une autre manière d’appréhender le monde.

Oui, voilà.

Et est-ce qu’ils se baladent ?

On n’en sait rien. Certains bourdons sont capables de jouer, alors s’ils jouent, pourquoi n’auraient-ils pas envie de se balader ? C’est plausible. On a donné des petites balles à des bourdons, et ils ont choisi les plus légères et ont joué. On se dit que ça développe leur mobilité, que c’est un temps d’interaction avec les autres… le jeu permet plein de choses comme chez nous. Mais on ne sait pas trop. On est au début du début des connaissances. Déjà qu’on découvre des choses dingues sur les animaux qui sont proches de nous, alors les insectes…

Est-ce qu’ils maitrisent leur vol dès leur naissance ?

Une immense part est innée. Les insectes sortent de leur métamorphose, deviennent adultes et ont besoin d’être tout de suite opérationnels, sinon ils se feraient manger. Mais ils acquièrent forcément des compétences au cours de leur vie. Ce ne sont pas des petits robots. Les insectes ont des cultures, et les transmettent même à leurs partenaires. On sait qu’une fourmilière de telle espèce ne fait pas tout à fait pareil que la fourmilière d’à côté, c’est comme les Parisiens et les Lyonnais : ils sont pareils, mais ne font pas pareil. Il y a de l’acquisition, des us et coutumes… Chez les bourdons toujours, on se montre des choses entre sœurs. Il y a eu des expériences, l’une montrait à l’autre quoi faire pour avoir une récompense.

C’est incroyable.

Ce qui est incroyable, c’est notre ignorance et notre ego de dingue. On pense que tout ce qu’on fait, on est seuls à être capable de le faire.

Vous avez une passion pour les bourdons ?

Non, pas spécialement. Vous me demandez quel est mon insecte préféré ? C’est le frelon asiatique. Je réponds toujours ça parce que ça fait réagir tout le monde. Il a bon dos. Le frelon révèle parfaitement notre relation très subjective avec le vivant : on a nos têtes. On adore l’abeille domestique, qui est l’animal qui tue le plus d’humains en France. En revanche, on dézingue des nids de frelons sans états d’âme, mais on dit qu’on adore les abeilles… tout ça pour leur voler leur miel à la fin – qu’elles ne produisent pas pour nous, je rappelle. C’est une drôle de façon d’aimer la nature et les animaux. On peut se poser la question de la violence qu’on a envers les animaux non humains, s’interroger sur notre rapport philosophique au vivant.

Pour qui le frelon est-il un affreux jojo ? Pourquoi on ne parle pas de ses qualités ? Est-ce qu’il est utile, pas utile ? Mais nous, on n’est pas utiles écologiquement, il faudrait nous éliminer ?

Les frelons sont aussi des pollinisateurs d’ailleurs.

Guêpes, bourdons, mouches… Il y a plus de 10 000 pollinisateurs en France. Mais contrairement aux abeilles, les mouches à merde n’ont pas de syndicat pour les défendre. Pourtant, elles pollinisent – les fenouils et les carottes notamment –  et nettoient la nature. On dit que le frelon est une espèce envahisseuse, et c’est l’Homo sapiens qui dit ça ? Quelle blague ! Notre espèce est la pire, si on réfléchit en naturaliste. Mais on est d’accord qu’on a envie de vivre et qu’on est super ! C’est pareil pour les autres. Ce qui est important à comprendre, c’est qu’on est entourés d’individus et non pas d’espèces.

Une petite mouche domestique (Fannia canicularis). Wikimedia / Katja Schulz
Une petite mouche domestique (Fannia canicularis). Wikimedia / Katja Schulz

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Chaque individu est unique, et avant de tuer, on peut bien y réfléchir. Dans la notion d’ « autrui »,  il y a les non-humains. Comme moi, une mouche a son histoire, elle est unique. On voit bien qu’un chat ou un chien a sa personnalité. C’est pareil pour une mouche, un corbeau ou un rat.


Pour en savoir plus, vous pouvez lire les livres de François Lasserre, dont Sauvons les insectes (Rustica, 2020).

Avis sur : François Lasserre, entomologiste, nous donne une vision incroyable des insectes

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Les commentaires :

Merci pour cet article intéressant et les réflexions « choc » de François Lasserre qui nous mettent en face de nos attitudes incohérentes par rapport à l’utilité ou à la nuisibilité qu’on prête aux différentes espèces d’insectes. Oui, il est temps de s’interroger sur notre rapport philosophique au vivant et d’activer nos … antennes !

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