Alors que les forêts brûlent, que les océans se réchauffent, certains écosystèmes précieux souffrent, eux aussi, mais sont moins connus : les tourbières. Qu’est-ce qui les menace ? Les plantations d’arbres, le surpâturage, la pollution agricole… et bien sûr, le changement climatique.
Peter Duran est chargé de mission scientifique et technique au Pôle-relais tourbières, animé par la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels, et nous en dit plus sur ces zones humides à préserver.
Les tourbières sont parfois qualifiées d’archives environnementales. Pourquoi ?
Les tourbières sont formées par l’accumulation des végétaux non décomposés au fil des siècles, voire des millénaires. La tourbe se forme dans un milieu saturé en eau quasiment en continu, un milieu très humide, dans lequel la végétation continue de croître, ce qui permet à la tourbe de s’accumuler. Alors que dans une forêt, les feuilles qui tombent se décomposent.
Une tourbe très saturée préserve les restes de végétaux, qui se décomposent très très lentement et incomplètement, au bout de plusieurs siècles ou millénaires. Donc lorsqu’on regarde dans la tourbe, on voit très clairement des bouts de racines, des graines, des feuilles tout à fait reconnaissables. Des morceaux de bois d’aulne par exemple.
Ou alors carrément des « bog bodies », des corps de tourbières ! On a retrouvé dans les tourbières des corps humains dont celui d’un homme – « l’homme de Tollund » – qui date de plusieurs milliers d’années au Danemark. C’est incroyable, on voit même les pores de sa peau, les fibres de son bonnet… On dirait presque qu’il est endormi. Il y a de nombreux cas de restes animaux et humains très bien préservés, spécifiquement dans les tourbières acides. Imaginez un bocal de cornichons : l’acide est assez fort pour les préserver sans les dissoudre !
En quoi cela aide la recherche, notamment dans le champ de l’écologie ?
Quand les tourbières sont en bon état, bien engorgées en eau et acides, elles préservent, comme dit plus haut, pas mal de choses dont des végétaux morts, des pollens, des spores, des coquilles et des objets historiques, archéologiques… Cela donne beaucoup d’informations sur l’écologie : pas seulement celle du site mais aussi l’écologie du milieu plus large, du bassin versant par exemple. On peut tracer l’évolution de la végétation dans un secteur, et connaitre ainsi les activités humaines dans ce milieu. Qu’est-ce que les gens faisaient ici ? Élevaient-ils des vaches ? Que plantaient-ils?
On peut ainsi avoir des données sur l’évolution du climat sur une période très longue…
Oui, on peut recréer l’historique climatique d’un milieu.
Les tourbières sont aujourd’hui menacées. Pourquoi ?
La plupart des menaces sont liées au drainage. Historiquement, les tourbières ont été drainées pour évacuer l’eau, surtout pour l’activité agricole et sylvicole, parfois pour l’urbanisation. Le caractère du lieu change alors totalement, la tourbe s’assèche, elle commence à se dégrader, à se tasser. Bref, elle se perd. Cela change la biodiversité qui est capable d’y vivre, beaucoup d’espèces sensibles ne pourront plus survivre. Et ça affecte aussi les humains car les services écosystémiques des tourbières disparaissent : la régulation des crues, la filtration des polluants agricoles et des métaux lourds qui sont alors relargués dans les rivières, la préservation des archives, la captation du carbone…
Autre risque : le feu. Il s’agit de plusieurs mètres de végétaux accumulés, c’est très combustible. Il y a même un risque de feu souterrain : le feu peut brûler en profondeur même si le feu de surface est éteint. Et peut revenir quelques mois après !
La tourbe est d’ailleurs historiquement utilisé pour se chauffer.
En France, c’était une activité traditionnelle dans les zones où il y avait moins de bois. La tourbe est toujours exploitée à grande échelle en Europe centrale (en Allemagne surtout) et de l’Est, mais pas pour du chauffage : elle est extraite de grandes tourbières en plaine pour le terreau de jardinage. En France, la plus grande tourbière exploitée – la tourbière de Sèves (Manche) – a été arrêtée il y a peu, c’est signe que quelque chose se passe. Il ne fait aucun doute que cette exploitation diminue. Sauf que… la France continue d’importer de la tourbe via le terreau. C’est une contribution conséquente à l’exploitation des tourbières. Presque tous les sacs de terreau contiennent de la tourbe…
Revenons aux services rendus par les tourbières : elles sont de véritables puits à carbone !
Les tourbières ont un rôle spécial dans le cycle du carbone. Pendant 10 000 ans, les tourbières existantes ont accumulé les végétaux morts dans la tourbe, et ont accumulé plus de carbone qu’elles n’en émettent. (En se décomposant, les végétaux libèrent du CO2, ndlr) Celui-ci a été piégé et n’est pas remonté dans l’atmosphère : il est séquestré.
C’est d’ailleurs toujours le cas quand une tourbière est en bon état, donc humide et saturée en eau, elle est alors un puits de carbone et participe à la régulation du climat. Quand une tourbière est dégradée, le contraire advient : tout le carbone stocké est libéré. Pas d’un coup, mais petit à petit. Ce CO2 empire le réchauffement climatique. Or beaucoup de tourbières en France, bien plus que la moitié, sont dégradées. Elles ne sont plus des puits de carbone mais elles sont des sources de carbone. Et c’est une boucle de rétroaction (une espèce de cercle vicieux, ndlr) : ce drainage va conduire à plus de réchauffement, qui va conduire à plus d’assèchement, et donc à plus de réchauffement… Il est important de connaître les bénéfices et les risques que posent les tourbières : cela nous encourage à les gérer afin qu’elles soient humides, en bon état.
Alors, que faire ?
– N’achetez plus de terreau avec de la tourbe ! Voici une liste de produits que vous pouvez acheter.
– Fabriquez vous-même votre terreau. Des recettes ici.