Vous connaissez le sexisme, le racisme… Mais connaissez-vous l’adultisme ? Soit la domination adulte. La notion peut prêter à sourire : sommes-nous dominants quand on veut limiter le temps d’écran de notre enfant ? Ou quand on lui impose toute autre contrainte nécessaire à son bon développement ? Il ne s’agit pas de cela. Sous l’apparent « bon sens », qui « va de soi », se cachent des rapports de pouvoir qu’on ne questionne jamais. Une domination dont Mon Quotidien Autrement voulait parler alors que la Journée internationale des droits de l’enfant est prévue le 20 novembre.
« De tous les opprimés doués de parole, les enfants sont les plus muets. Les cris et fureurs qui émanent du groupe ne sont pas perçus comme protestation inarticulée, mais comme un fait de nature : les enfants, ça crie. « Nul être pourtant ne crie sans raison « , écrivait l’autrice féministe Christiane Rochefort. Qui a d’ailleurs écrit de nombreux livres sur la rébellion de l’enfance, comme Encore heureux qu’on va vers l’été (1975) qui raconte la fugue de toute une classe de 5e de banlieue.
Pensons-y. Il a fallu une loi, celle de 2019 “contre la fessée” et plus globalement contre les violences éducatives ordinaires, pour que l’État écrive noir sur blanc que les châtiments physiques et psychologiques sur les enfants étaient interdits… Une étude de l’Ifop avait d’ailleurs, à l’époque, souligné que 23 % des sondés reconnaissaient avoir donné une fessée à leur enfant, 15 % une gifle et ce… au cours de la semaine précédant l’enquête ! Quant aux chiffres concernant les violences sexuelles, ils sont effarants : une personne sur 10 en a été victime dans son enfance. Alors, l’adultisme paraît moins anecdotique tout à coup ?
La famille, lieu de pouvoir
« Quel type de régime se caractériserait par l’imposition d’horaires pour manger, dormir et travailler, par le contrôle de ses fréquentations et de son emploi du temps, par l’impossibilité de saisir la justice, […] par l’obligation de demander la permission pour tout et n’importe quoi ? Un régime dictatorial ? Un régime esclavagiste ? Un régime totalitaire ? Certes, mais c’est aussi le régime de l’enfance. » La sociologue Charlotte Debest résume ainsi le propos du livre d’Yves Bonnardel, La Domination adulte : l’oppression des mineurs (2015, éd Le Hêtre Myriadis). Il y propose un voyage révolutionnaire au sein des rapports entre adultes et enfants, parle des violences mais considère aussi les enfants comme sujets, même dans l’exploitation. Ainsi, en Afrique, certains ont créé le MAEJT (Mouvement africain des enfants et jeunes travailleurs), au Nicaragua, les Natras (Niños, niñas y adolescentes trabajadores) revendiquent la reconnaissance et la réglementation de leur travail.
Alors que faire ? Le plus urgent reste de reconnaitre que la famille peut être un lieu d’oppression, à rebours de l’idée largement répandue de havre de paix. Et pour cause, les violences faites aux enfants ont lieu en grande majorité dans la sphère familiale. Interrogeons-nous, comme l’a fait la chercheuse Tal Piterbraut-Merx (La domination oubliée, 2024) : et si l’enfant n’était pas vulnérable par essence, mais plutôt rendu vulnérable ? Comment l’autonomiser et lui donner, vraiment, du pouvoir ?
À lire :
- Les Enfants d’abord, de Christiane Rochefort
- La Domination oubliée, de Tal Piterbraut-Merx
- La Domination adulte, de Yves Bonnardel
- Politiser l’enfance, collectif