Leur peau est incroyablement douce et plutôt fraîche, et on se prend vite de passion pour leur petite langue mignonne. Que sont-ils en train de nous susurrer ? Aller dans la maison de Yoan et Sibylle, dans les Alpes, c’est faire la connaissance d’une vingtaine de serpents. Une pièce entière leur est dédiée, avec de beaux terrariums, une température et une humidité choisies avec soin. Nous avons pu porter un serpent des blés, une couleuvre de l’amour, une couleuvre rhinocéros… et observer – de loin cette fois – un serpent à sonnettes. Nous avons discuté avec Yoan de sa passion pour les serpents, et plus généralement pour les reptiles. Notre interview pourra sûrement aider toutes celles et ceux qui ont peur des serpents.
Pourquoi cela vous tient à cœur de partager vos connaissances sur les serpents ?
On voit bien qu’ils sont mal aimés. On aime les animaux en général, quand on voit le sort qui est réservé aux serpents, on se dit qu’il y a quelque chose à faire…
Tout le monde peut y mettre du sien ?
Oui, ce n’est pas qu’une cause perdue ! On peut les protéger indirectement. Ce n’est pas si difficile d’aménager son jardin pour leur faciliter la vie. Vous pouvez laisser pousser l’herbe, créer une petite mare et des enrochements pour que les lézards viennent.. Les couleuvres vertes et jaunes et les petites vipères profiteront alors de ces proies. Si vous êtes patients et discrets… peut-être que, deux fois par an, vous croiserez un serpent !
En tout cas, quand on facilite la vie aux reptiles, on facilite celle de tout un tas d’espèces qui vont profiter des mêmes habitats. Tous les comptages des associations, notamment ceux de la société herpétologique de France, montrent que les populations de reptiles en France s’effondrent. [Dans le monde, 1 espèce sur 5 est en voie d’extinction selon l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), NDLR].
Quelles sont les causes de leur disparition ?
Comme beaucoup d’espèces, il s’agit surtout de la réduction de leur habitat due à l’urbanisation notamment. Il y a aussi le changement climatique. Enfin, le fait que la plupart des gens font tout pour les éloigner de chez eux, parce qu’ils ont peur pour eux ou pour leurs animaux domestiques, alors que les serpents sont inoffensifs. Mais dans le doute, quand les gens en voient un, ils le tuent… Les clichés sur les serpents, complètement faux, ça me hérisse le poil. Ce sont des animaux fascinants !
Pourquoi les trouvez-vous fascinants ?
Nous, les humains, on se pense au sommet de l’évolution, alors qu’on est ultra-consommateurs, on a besoin de beaucoup manger, de se réchauffer… Eux, c’est tout l’inverse. Ils vivent à l’économie, mangent peu, tirent leur chaleur du milieu environnant (pour avoir chaud, ils s’exposent aux rayons du soleil)…

Que faut-il faire si on a peur des serpents et qu’on en croise un ?
Le laisser tranquille et l’observer ! Un serpent n’attaque pas les humains. Dans la nature, le serpent est une proie pour la plupart des autres animaux, sa réaction première est donc la fuite. De plus, pour les espèces venimeuses, la production de venin demande beaucoup d’énergie et elles l’économisent autant que possible. Les accidents surviennent lorsque l’on tente de les attraper. Les accidents graves sont exceptionnels et cela fait plus de 10 ans qu’il n’y a pas eu de décès par morsure de serpents en France.
Sachez que tous les reptiles de France sont protégés (arrêté du 8 janvier 2021). Les vipères bénéficient notamment d’une protection intégrale et leur destruction est totalement interdite. Un acte volontaire de destruction de vipère est punissable de 3 ans de prison et 150 000 euros d’amende.
Quelle est votre espèce préférée ?
C’est difficile à dire ! Les Tropidolaemus wagleri, aussi appelées crotales du temple, sont magnifiques. Nous avons plusieurs espèces de crotales et de vipères (qui sont venimeuses) africaines, asiatiques et nord américaines telles que la vipère des buissons, le crotale des bambous ou le crotale moucheté. Elles sont toutes soumises à autorisation préfectorale : il faut obtenir un certificat de capacité et une autorisation d’ouverture d’établissement. On a monté un gros dossier pour les obtenir.
Élever des serpents, c’est énormément de travail…
Oui, énormément. Et vu qu’on élève des espèces venimeuses, on a des protocoles de sécurité à respecter afin d’éviter tout risque pour nous, pour l’environnement. En tout, on consacre à notre élevage deux bonnes demis-journées par semaine pour bien nettoyer les terrariums, le nourrissage… Et une heure par jour pour inspecter que tout va bien. Et quand arrive la période de reproduction, ça explose ! Les juvéniles ont besoin de plus d’attention. On élève également des geckos géants de Nouvelle Calédonie (Rhacodactylus leachianus), et des iules africains (spirostreptus servatius).

Vouloir protéger des animaux tout en les élevant en captivité, n’est-ce pas contradictoire ?
Montrer ces animaux aux gens, c’est essentiel. On protège ce qu’on aime, ce qu’on voit, ce qu’on connait. Le problème des reptiles, c’est qu’on les voit difficilement, car ils sont très discrets. En avoir chez soi, les faire toucher, montrer qu’ils sont inoffensifs… Tout cela permet de conserver un lien avec le monde animal, car sinon, ce sont toujours les mêmes espèces qui sont mises en avant. Les reptiles et les invertébrés, comme les cloportes, les blattes… sont les animaux de compagnie de demain !
Adieu les chats, et bonjour les blattes ?
Les élever a beaucoup moins d’effets sur l’environnement. Les chats ont un énorme impact sur la faune sauvage locale par exemple, les oiseaux, mais aussi les lézards… Les reptiles ne prennent pas beaucoup de place, ne font pas de bruit, n’ont pas d’odeur, sont sans danger… C’est une première étape pour ouvrir les yeux sur la vie des animaux sauvages. Car pour recréer leur environnement en captivité, tu as besoin de comprendre ce dont ils ont besoin pour vivre. En tout cas, cela me semble bien plus sympa que de mettre des oiseaux en cage, des poissons en bocal, ou des chats dans de petits appartements !
Yoan et Sibylle, qui travaillent dans le domaine de la santé, ne font pas visiter leur maison mais proposent des formations. Ils ont créé une association Squam’Alpes, que vous pouvez suivre sur Instagram.