Où sont les femmes ? Dans la version francophone de Wikipédia, l’encyclopédie gratuite en ligne, seul 16% des biographies sont dédiées à des femmes. Tandis que moins de 20% des contributeurs sont des contributrices. La plateforme participative, sur laquelle tout un chacun peut créer ou éditer un article, invisibiliserait-t-elle les femmes ?
En tout cas, elles ne se laissent pas faire. « Il y a une dynamique collective géniale » à travers le monde, pour réduire l’écart, avance Kvardek Du, coordinateur du projet des sans pagEs. L’initiative, née en 2015 en Suisse sous l’impulsion de Natacha Rault, coordonne des marathons d’édition à travers la France et la Suisse. Des volontaires – une majorité de femmes – se retrouvent pour apprendre le b.a-b.a de Wikipédia et créer de nouvelles pages… dédiées aux femmes bien sûr. Résultat : des milliers de nouvelles pages ont été créées depuis le début de l’aventure sur Wikipédia, l’un des 10 sites les plus fréquentés par les Français.
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— Les sans pagEs 🥕 (@lessanspagEs) 23 août 2017
Inspirée par l’initiative anglo-saxonne Women in Red et pilotée par une quinzaine d’activistes motivées, les sans PagEs comptent aujourd’hui près de 140 contributeurs. Rencontre avec deux de ses membres actifs, Lexane Sirac et Kvardek Du, après l’un de leurs ateliers organisés à la Gaité Lyrique à Paris.
Pourquoi trouve-t-on si peu de biographies de femmes dans Wikipédia ?
Lexane Sirac : Sur Wikipédia, les règles sont strictes vis-à-vis des sources. Chaque information doit provenir d’un média sûr. Or les grands médias parlent moins des femmes. C’est beaucoup plus difficile de trouver des informations sur elles. Aujourd’hui 90% des personnes que nous ajoutons sont des femmes contemporaines, parce que nous pouvons accéder à plus de sources. C’est une vraie catastrophe lorsqu’on veut écrire une biographie sur une femme du 19e siècle, par exemple.
Y-a-t-il des domaines où les personnalités féminines manquent particulièrement ?
Lexane Sirac : Il y a des trous dans certaines disciplines, en sciences humaines, en linguistique, en gynécologie… On trouve aussi très peu de sportives. Beaucoup de médaillées aux Jeux Olympiques n’ont pas de page Wikipédia – même des médailles d’or ! Il y a aussi très peu de femmes romancières. Par contre, il y a beaucoup d’actrices.
Le manque de biographie s’explique-t-il également par le manque de femmes contributrices ?
Kvardek Du : Oui. Il y a un double biais. 80% des personnes qui écrivent sur le Wikipédia francophone sont des hommes. L’ambiance sur la communauté peut être lourde. Nous pensons même que certaines femmes utilisent des pseudos masculins pour être plus tranquilles.
Les femmes sont-elles également freinées par la peur de mal faire ?
Lexane Sirac : Beaucoup de contributrices ont ce qu’on appelle le « syndrôme de l’imposteur ». Lorsqu’on propose à des femmes de créer une page Wikipédia, certaines disent qu’elles ne savent pas comment faire. La plupart des femmes qui participent aux ateliers réalisent des traductions de pages existantes, alors que les hommes présents se lancent plus facilement dans la création d’une nouvelle page. Il faut du temps pour prendre confiance en soi. Moi par exemple, j’ai fait 30 à 40 traductions pendant deux mois avant de me lancer.
Est-ce plus difficile de faire valider une biographie de femme sur Wikipédia ?
Lexane Sirac : Il y a continuellement des débats sur la création de pages dédiées à des femmes. Il y a toujours une vingtaine de pages en cours, qui sont remises en question parce qu’on se demande si la personne a fait quelque chose de suffisamment spécial pour qu’on lui crée une page. Nous avons par exemple des difficultés à ajouter des pages sur des féministes. On nous recommande d’écrire plutôt sur des femmes scientifiques.
Wikipédia cherche-t-elle à être féministe ?
Lexane Sirac : Wikipédia ne se définit pas comme un projet militant. Tous les points de vue y sont représentés, par exemple sur la question de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG). Pour éviter les guerres d’édition, il existe des sortes de conventions, notamment sur la féminisation des noms de métiers. La première personne qui a créé la page a raison, on ne peut plus modifier ensuite. C’est ce qu’il s’est passé avec la page de Theresa May par exemple, la formulation « première ministre » est restée.
Pensez-vous que les femmes qui participent aux ateliers vont devenir des contributrices régulières de Wikipédia ?
Lexane Sirac : A notre premier atelier dédié aux femmes sportives, il y avait plus d’une quarantaine de personnes. Nous étions surpris par l’ampleur de l’évènement. C’est plutôt bon signe, il y a de l’intérêt. Nous avons un indicateur, c’est le +1. Si jamais une personne qui participe à un atelier se connecte le lendemain sur Wikipédia, ça signifie que la formation est réussie.
Manon Walquan
Cet article a été réalisée par une participante de la Street School, un programme de formation gratuit au journalisme créé par StreetPress.