L’alpinisme, c’est de droite ou de gauche ? La question peut prêter à sourire. Pour y répondre, il faut se plonger dans son histoire. La pratique de ce sport de haute montagne n’est pas anodine. Elle est née pendant la seconde moitié du XIXe siècle au sein de l’aristocratie et de la bourgeoisie anglaises. Ses adeptes (des hommes) « sont, en grande partie, issus d’un groupe remarquablement homogène et fermé », résume Delphine Moraldo, autrice de L’esprit de l’alpinisme. Une sociologie de l’excellence du XIXe au XXIe siècle.
On apprend dans son livre qu’il y a alors un « esprit » de l’alpinisme : des valeurs morales, éthiques. Pas question de monter au sommet « en trichant » ! Des « règles strictes régissant la manière légitime, “loyale”, “juste”, fair, de réaliser les ascensions », lit-on dans le livre. « On peut utiliser le piolet, les chaussures cloutées, mais pas les crampons, au moins dans les débuts, et, si l’on peut tailler des marches dans la glace, on ne peut pas en tailler dans la roche. On peut utiliser l’échelle (ou le dos d’un porteur), mais pas planter un piton», résume une recension du livre. En fait, ses adeptes rejettent tout bonnement tout ce qui pourrait rendre l’alpinisme populaire.
Refuges pour les opprimés
Pas très de gauche tout cela ! Mais attendez, l’histoire ne s’est pas figée au XIXe siècle. C’est ce que raconte Guillaume Goutte, l’auteur d’Alpinisme et anarchisme — Une brève contre-histoire politique des sommets. Ce militant CGT explique bien que la haute montagne est aussi le “passage des persécutés, des refuges pour les opprimés et des terrains de résistance pour les révoltés”. De pratique aristocratique, puis patriotique et nationaliste, l’alpinisme a bien fini par se démocratiser. «À la toute fin du XIXe siècle, on assiste à l’essor de groupes de montagne populaires, notamment en Isère, explique-t-il dans la revue Sport et plein air. Mais « la plupart de ces associations s’inscrivent dans ce que l’on a appelé le « paternalisme ouvrier » : des bourgeois créent des structures pour organiser, mais surtout encadrer, les loisirs de plein air de la classe ouvrière ».
À relire ! 82-4000, l’association qui emmène les plus précaires en haute montagne
Un moment de bascule a lieu en 1936 avec la création des congés payés et le lancement du Groupe alpin populaire. Cela signe le véritable essor d’un alpinisme travailliste, c’est-à-dire organisé cette fois par les travailleurs et pour les travailleurs. Avec le Front populaire, alors que « du temps se libère, arraché aux patrons, et le droit au loisir émerge », écrit-il dans le livre, nait aussi la Fédération sportive et gymnastique du travail (FSGT), qui existe encore aujourd’hui. Fini le mythe du premier de cordée, l’homme valeureux qui conquiert la montagne quasi seul. La cordée prend tout son sens solidaire : il s’agit d’une pratique d’équipe.
Aide aux migrants en détresse
Aujourd’hui, la haute montagne est toujours une terre de luttes. Certes, des militants d’extrême droite du GUD ont organisé des marches antimigrants pour les empêcher de passer le col entre l’Italie et la France. Mais des collectifs, de gauche cette fois, ne lâchent pas les hauteurs. Des maraudes sont organisées pour aider les exilés en détresse qui tentent de franchir la frontière à Montgenèvre. Des groupes comme Alpinismo Molotov, une « association subversive de randonnée », se sont créés pour associer haute montagne et lutte antifasciste. Dans la lignée des maquisards !